// D'où viennent les bonnes idées ?

Le samedi 29 juin 2013 par David Brown
C'est une très vaste question sur laquelle je me penche aujourd'hui :)

Pour tenter d'y répondre, je vais m'appuyer sur le livre "Where good ideas come from - the natural history of innovation" de Steven Johnson (livre que je recommande vivement).
Vidéo TED et Vidéo Youtube où il explique ses concepts.

(Pour les retardataires qui ne connaîtraient pas TED, je vous encourage à visionner leurs conférences : les 20 conférences les plus regardées).
Nuage de mots créativité Nuage de mots créativité
Chance favours the connected minds. Steven Johnson

Le champ des possibles

Il arrive souvent que les mêmes découvertes se fassent indépendamment, à quelques années (voire mois) d'intervalle (Loi de Boyle-Mariotte, Loi d'Avogadro-Ampère, ainsi que de nombreuses autres). Selon la loi du "possible adjacent", de Kauffman, nous inventons à partir de ce que nous connaissons : au moment où toutes les théories fondatrices d'un nouveau concept sont "disponibles", ce ne serait alors qu'une question de temps avant que quelqu'un fasse la découverte suivante ; chaque découverte étend ainsi le champ des possibles. (Nous avons néanmoins quelques exemples de "sauts dans le temps" quand Léonard de Vinci dessine les premiers plans d'hélicoptères en 1486.)

Par analogie, si je veux construire un engin mécanique, il faudra que j'attende que toutes les pièces soient disponibles (ou que je les rende disponibles, en les créant). Par exemple, il arrive qu'un nouveau procédé de fabrication, un nouveau niveau de miniaturisation ou encore de nouveaux matériaux permettent des idées non réalisables auparavant.

Selon cette théorie, c'est en combinant les "pièces détachées" que nous innovons. Le but pour créer est donc d'une part de permettre l'échange des "pièces détachées" disponibles (au moins au niveau de chaque entreprise, sans vouloir rentrer ici dans des débats sur les brevets) et d'autre part d'encourager les nouvelles combinaisons de pièces.

Une partie du processus pour trouver une bonne idée consiste donc à connaître les "pièces détachées" qui sont à notre disposition. Un excellent exercice pour cela est de lire régulièrement toutes sortes d'informations (liées à votre domaine, mais aussi à de nombreux autres. Lisez des articles sur l'art, sur la psychologie, soyez curieux, regardez des conférences TED... :)).

Chaque idée est un ensemble de réseaux

Partons du réseau le plus bas dans l'apparition d'une idée : le cerveau, notre réseau neural. Il nous permet d'emmagasiner toutes sortes d'informations environnantes, puis de les filtrer, de les synthétiser, de les trier ("les ranger dans des petites boîtes") selon des critères qui sont propres à chacun. Toutes ces informations et ressentis sont combinables à volonté dans notre esprit. Sauf que nous n'opérons que peu d'associations car notre éducation et expérience nous entrainent à penser de la manière la plus rationnelle possible. (D'ailleurs nos rêves permettent de lever certaines limites : s'ils nous paraissent décousus, voire complétement fous, cela montre leur plus grande liberté.)

Réseau de neurones
Souvent quand une idée nous vient, nous parlons d'illumination, d'éclair de génie, de déclic. Mais cet "Eurêka" se construit à partir de l'ensemble de nos connaissances. C'est plutôt une sorte de pressentiment qui monte lentement. On perçoit qu'on touche quelque chose du doigt, mais sans arriver à le formuler, quand tout d'un coup tout s'éclaire. Comme exemple de ce phénomène, on peut citer Darwin, qui parle du moment où il a eu le déclic de sa théorie de l'évolution. Sauf que si l'on explore ses carnet (il notait précautionneusement toutes les idées qu'il avait), sans en avoir conscience il avait toutes les notions de la théorie en tête depuis des mois.

Le deuxième niveau de réseau est le réseau humain. Peu de grandes découvertes sont faites par des individus isolés (à part si elles sont dues à une erreur, j'y reviendrai). Au siècle des lumières on associe souvent les salons aux importantes avancées que les scientifiques notamment ont réalisées dans de nombreux domaines. Ainsi, dans l'entreprise, de nombreuses idées sont trouvées lors de réunions. Confronter une idée permet entre autres de l'affiner.

Le troisième niveau serait l'état de connaissance à l'instant donné (i.e. les "pièces détachées disponibles"), et on peut remonter à toute l'histoire qui converge pour créer le présent. L'idée à retenir, c'est que de nombreux facteurs rentrent en compte dans la genèse d'une idée, et que quand tous les éléments des réseaux sont en phase, l'éclair créatif jaillit.

Les réseaux liquides

L'image derrière les réseaux liquides est simplement qu'il faut "trouver un équilibre entre le solide et le gazeux" : si les éléments de nos réseaux (notre esprit, nos relations et nos connaissances) sont fixes (état solide), aucun élément nouveau ne pourra venir "compléter le tableau". A l'inverse, si tous ces éléments défilent à toute vitesse sans avoir le temps de considérer les combinaisons qui sont générées, aucune idée ne peut être créée.

Comment trouver des idées ?

Si l'on part de l'image des réseaux liquides, pour favoriser les idées le but est que notre esprit, nos relations et nos connaissances trouvent un équilibre entre "favoriser les échanges" et "prendre le temps de considérer les combinaisons".

Quelques pistes pour cela :

  • Faire tourner son cerveau : entrainer-vous à associer des idées, des concepts, des mondes différents (ici par exemple :)), prenez le temps de chercher des idées (au lieu de regarder la télé de temps en temps), libérez-vous (osez considérer les idées, même bizarres ou irréalisables au premier abord ; rêver et blaguer peut aider à lever les limites que l'on s'impose naturellement.)
  • Fixer ses idées : notez vos pensées (vous pourrez les relire par la suite, avoir une base pour croiser avec des idées nouvelles), notez également vos tâches à réaliser et utilisez un outil pour vous rappeler les dates butoirs (cela vous permettra de "libérer de la bande passante" au lieu de stresser et d'utiliser votre cerveau pour vous souvenir de tâches. Voir le concept de GTD.)
  • Développer son réseau relationnel : cherchez les rencontres avec des gens de différents horizons, profitez de l'effervescence des grandes villes (des études montrent que l'innovation est plus importante en proportion, notamment grâce au "Spillover effect"), favorisez l'échange d'informations dans les espaces de travail (tableaux blancs aux murs, cloisons flottantes pour s'adapter à chaque projet...)
  • Nouer des relations privilégiées : apprenez à écouter les autres (quels sont leurs habitudes ? leurs préférences/dégouts ? leurs petits soucis au quotidien ?)
  • Augmenter ses connaissances : lisez régulièrement tous types d'informations, de livres, soyez curieux, posez des questions, cherchez l'information de manière désordonnée (ne filtrez pas uniquement les flux qui vous intéressent : qui n'a jamais été attiré par la couverture d'un livre dans une bibliothèque alors que l'on cherchait autre chose.)
  • Maitriser certains domaines d'intérêt : *the last but not the least* soyez passionnés !

Les découvertes hasardeuses / Les erreurs

Comme je l'abordais plus haut, nous bridons inconsciemment notre esprit et nous nous interdisons de nombreuses combinaisons. Ceci car notre éducation, notre expérience nous indiquent qu'elles ne peuvent pas fonctionner. Pourtant certaines découvertes en chimie par exemple sont le fruit d'erreurs (flacon renversé, mauvais stockage...). Le fait d'être désordonné augmente la probabilité de la sérenpidité (ou « découverte hasardeuse ».)

Good ideas are more likely to emerge in environments that contain a certain amount of noise and error.

Parfois le fait de sortir de son environnement de travail habituel permet d'enrayer certains bridages qui y sont renforcés. Poincaré par exemple a eu de nombreuses idées lors de balades.

L'exaptation (l'adaptation d'une amélioration à un autre but)

L'invention du post-it est un très bon exemple de réutilisation d'une invention : tout a commencé par des recherches sur les adhésifs qui ont menées à la découverte d'une colle peu efficace (ce qui n'était pas le but recherché). Ce n'est que 15 ans plus tard, après plusieurs tentatives d'application de cette colle et essais de mise sur le marché que ses ventes explosent.

De manière plus générale, de nombreux domaines développent leurs propres modèles, méthodes, outils, paradigmes (représentation du monde, manière de voir les choses). Par exemple un neurologue connait le fonctionnement du système nerveux qui, selon Wikipédia, est "responsable de la coordination des actions avec l'environnement extérieur et de la communication rapide entre les différentes parties du corps". Certaines méthodes très spécifiques ont été inventées pour arriver à appréhender le fonctionnement de ce système. Mettons qu'un biologiste décide d'étudier une fourmilière comme une entité pensante (qui peut réagir à la présence d'un intrus et doit communiquer l'information à l'ensemble de la colonie), peut-il utiliser les outils (après adaptation) du neurologue ? Ou l'inverse ?

De nombreux problèmes rencontrés par des spécialistes d'un domaine ont été abordés par des spécialistes d'autres domaines. Cependant la transposition entre les domaines n'est pas toujours évidente (trouver les similitudes entre deux concepts étrangers peut être difficile), d'autant plus qu'il faut connaître un minimum l'autre domaine pour saisir les subtilités d'une approche.

All decisive events in the history of scientific thought can be described in terms of mental cross-fertilization between different disciplines. Arthur Koestler

D'où l'importance de mélanger les disciplines, les approches, les origines des personnes. Un outil permettant de conceptualiser un modèle d'un autre domaine est la métaphore structurante : imaginons que l'on cherche un concept innovant autour des transports en commun ; croisons avec un autre domaine, mettons le médical. J'ai envie de représenter une gare importante comme un cœur humain, qui, aux heures de pointe, "aspire" une grande quantité de gens, puis dirige le flux vers les extrémités du corps, puis recommence (l'analogie peut être approfondie, je m'arrête là pour l'exemple). Comment les vaisseaux sont-ils organisés ? Comment traite-t-on une embolie ? Peut-on appliquer ces mêmes schémas aux transports ?

Les plateformes

Créer un projet sous forme de plateforme est souvent intéressant. Une plateforme au sens "récif corallien" : ces derniers abritent 25% de la biodiversité marine en occupant moins de 0.1% de la surface des océans. Les récifs fournissent abri et nourriture à de nombreuses espèces qui s'adaptent et apportent des bénéfices en retour (nutriments...). Deux concepts associés sont les écosystèmes et la symbiose.

De nos jours, il n'est pas forcément nécessaire de tout maîtriser, de tout connaître pour développer une idée. Cela est très net dans le domaine de l'informatique : la possibilité d'utiliser de manière libre de nombreuses technologies favorise l'apparition de services. Exemple très commun, l'environnement LAMP (Linux comme système d'exploitation, Apache comme serveur, MySQL comme base de données, et PHP (ou Python, Perl) comme langage). Ces technologies servent de base à d'autres (Framework Zend, Symfony...), certaines prévues pour les non-développeurs (WordPress...). Ce phénomène est également de plus en plus courant au niveau hardware.

Exemples de plateformes

Le plus important au final est la notion de communauté : trouvez une formule qui permette aux gens de construire à partir de vos idées et que ceci soit également bénéfique pour vous. Prenez Android (basé sur Linux au passage) permet à de nombreux développeurs de construire et vendre des applications sur leur store (s'ils avaient dû trouver toutes les idées eux-mêmes, on n'aurait pas autant de diversité). Même chez Amazon, pour prendre un autre exemple, où ils savent qu'ils ne peuvent pas proposer tous les produits existants, ils permettent à chacun d'ouvrir leur boutique, élargissant ainsi leur catalogue.

En bref

Sortez faire une balade, cultivez votre intuition, écrivez tout ce qui vous passe par la tête (mais gardez vos notes désorganisées), cherchez à favoriser les découvertes hasardeuses, générez des erreurs, ayez plusieurs passions, fréquentez des clusters (et autres réseaux liquides), creusez vos idées, suivez les liens entre idées, laissez les autres construire à partir de vos idées, empruntez, recyclez, réinventez. Construisez votre récif corallien.


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